Deuxième partie

En attente du décollage immédiat. Hugh Pawson, deuxième à partir de la droite. Il me disait : « We were a bunch of kids, but we were brave! » (Nous étions des gamins, des gamins courageux!)

En janvier 44, le lieutenant Hugh « Moe » Pawson fut transféré au Ceylan avec trois autres pilotes de Corsair afin de remplacer des pilotes tués dans des accidents sur le H.M.S. Illustrious. Comme je l’avais mentionné dans la première partie de mon article, ce porte-avions faisait partie de la flotte d’attaque alliée, principalement britannique, destinée à attaquer les Japonais en Birmanie, à Sumatra et à Java.

Une fois posté dans un aérodrome britannique au Ceylan (Sri Lanka actuel), Hugh pilota des Martlet et des Corsair. Fin mars, début avril 1944, il fut incorporé dans l’escadron 890 de Martlet, à Puttalam, au Sri Lanka, s’entraînant aux vols en formation et aux simulations d’attaques au sol. Totalisant seulement environ 391 heures de vol, Hugh fut envoyé à l’escadron 757 de Corsair, toujours à Puttalam, où il fera moins de 10 heures de vol avant de rejoindre l’escadron 1830 sur l’H.M.S. Illustrious pour remplacer un pilote tué. Il s’embarqua le 5 mai 1944 alors qu’il n’avait pas encore fait un seul appontage! Eh oui! Lors de l’entraînement pour son premier appontage sur le porte-avions alors ancré au large, le Corsair qui était devant lui s’était crashé sur le pont et il lui fallut retourner se poser sur la terre ferme. Puis ce fut le départ immédiat de la Task Force pour Surabaya, en Indonésie. Nous avions donc à bord un jeune pilote de 22 ans, qui avait moins de 15 heures de vol sur Corsair et qui n’avait pas encore fait d’appontage!

Hugh Pawson à l’appontage

Hugh, que je connaissais bien, avait été invité à participer plusieurs fois, aux Ailes d’époque du Canada, à Gatineau, à des cours théoriques donnés sur le Corsair. Durant l’un de ces cours, il nous avait raconté, avec humour (ce dont il ne manquait pas) comment s’était passé son premier appontage : « Ils sont allés chercher dans tout le porte-avions le Corsair le plus laid, assumant qu’il n’y avait hélas que peu de chances que je puisse réussir cette mission d’entraînement ». Or, non seulement il réussit très bien, mais il eut aussi la surprise, une fois dans les airs, de voir tout ce méli-mélo de sillages de tous les navires de différents tonnages qui avaient viré de bord pour s’ajuster parallèlement au nouveau cap pris par l’H.M.S Illustrious pour se mettre face au vent! Encore pour le citer, avec humour, « quand j’ai vu l’USS Saratoga bien plus grand que mon porte-avions, c’est là que je voulais me poser », mais en fait tout se passa très bien. Nous étions le 12 mai 1944, le vol dura 45 minutes. Le 21 juin 44, ce fut le baptême du feu durant l’attaque de Port Blair aux îles Andaman-et-Nicobar dans le golfe du Bengale, le porte-avions ayant fait diversion vers le port de Sabang. La mission de Hugh était de faire un vol de couverture pour protéger des bombardiers Fairey Barracuda en piqué. Il rencontra une Flack anti-aérienne, légère mais intense, mais pas de chasseurs ennemis. Il n’avait environ que 78 heures de vol sur Corsair et que 15 appontages accomplis! L’H.M.S. Illustrious attaquait des terrains d’aviation japonais tandis que les navires de combat pilonnaient les installations militaires sur les côtes. Le 25 juillet 44 eut lieu l’attaque (straffing) du terrain d’aviation de Sabang où Hugh rencontra une lourde défense anti-aérienne mais de petit calibre. Il fit trois passes sur le terrain ennemi, bien qu’une seule passe fût plutôt la norme du point de vue… sécuritaire! Puis il fit une partie de chasse excitante contre un Mitsubishi Zéro à travers les nuages qui se termina au ras des flots, lorsqu’un ailier descendit l’adversaire avec une courte rafale. Peut-on parler d’une victoire partagée? Plus tard, pendant l’été 44, l’H.M.S. Illustrious fut rejoint par l’H.M.S. Victorious pour attaquer les Japs à Sumatra pour le restant de l’année. Vers la fin de l’année, ce sont les autres porte-avions britanniques, H.M.S. Indomitable et Indefatigable, qui s’ajoutèrent à la Flotte en vue de l’attaque des raffineries de pétrole de Palembang, tenues par les Japonais.

En attente du décollage immédiat. Hugh Pawson, deuxième à partir de la droite, il me disait : We were a bunch of kids, but we were brave! (Nous étions des gamins, des gamins courageux!)

Comme je l’ai mentionné au début de mon article, l’opération Meridian 1 eut lieu le 24 janvier 1945. À bord du Corsair JT523, Hugh Pawson fit un vol de 2 heures 55 minutes durant lequel sa mission fut d’attaquer des terrains d’aviation japonais à Lembak et à Talangbetoetoe, Sumatra, respectivement au sud-ouest et au nord-ouest de Palembang. Il rencontra une intense défense anti-aérienne mais de petit calibre. Après avoir détruit au sol trois bimoteurs et un chasseur, il put retourner au porte-avions malgré son réservoir d’huile percé par une balle de mitrailleuse. Le 29 janvier, il participa à l’opération Meridian 2 en pilotant le Corsair JT430, accomplissant un vol de 2 heures 10 minutes. Au cours de sa mission, il détruisit deux Tojos (Nakajima Ki-44) et dut revenir au porte-avions pour effectuer un appontage d’urgence. Les 24 Corsair qui ont participé à l’opération Meridian ont détruit 34 avions japonais et endommagé diverses installations. Après ces attaques à Palembang, la Flotte mit le cap vers l’Australie et passa deux semaines à Sidney avant de remonter vers le nord vers les îles Sakishima, au sud d’Okinawa, pour aider le débarquement des Américains sur cette île. La Task Force des quatre porte-avions de la Royal Navy livrait bataille contre les avions japonais et leurs bases pour empêcher l’aviation ennemie d’arriver de Chine et de Formose (Taiwan) et de combattre les Américains. Malgré des attaques de kamikazes, qui infligèrent des pertes humaines et matérielles, aucun des quatre porte-avions ne fut mis hors service. En avril 1945, Hugh « Moe » Pawson accomplissait des vols de couverture contre les attaques de kamikazes, au risque d’être atteint par des tirs anti-aériens amis. Le 9 avril 1945, l’H.M.S. Illustrious fut endommagé sous la ligne de flottaison par l’attaque de l’un d’entre eux, qui heureusement n’avait pas réussi à s’écraser sur le pont, ce qui aurait causé de lourds dommages. Il avait percuté l’eau, tout près de la coque; l’une des ailes de l’avion avait volé par-dessus bord et coupé une partie de l’îlot. Il devint alors difficile pour le porte-avions de suivre la Task Force, car seulement deux des trois hélices fonctionnaient et, par conséquent, il ne voguait qu’à 70 % de sa vitesse potentielle. Il fut alors remplacé par l’H.M.S. Formidable, au mois de mai, et retourna à Sidney après avoir fait escale à Leyte, dans les Philippines. Après la conquête d’Okinawa, les quatre autres porte-avions firent route au nord vers le Japon. Hugh fit son dernier vol en Corsair le 8 mai 1945, jour de la victoire des Alliés en Europe. Il quitta son escadron 1830 et son navire le 24 mai 1945, recevant la mention de « bon pilote opérationnel » et « au-dessus de la moyenne » en ce qui concernait ses appontages, de la part de son chef d’escadron, Mike Tritton. En un an, dans son escadron 1830, Hugh a accompli 185 heures et demie de vol et fait 41 appontages. Ils n’étaient que trois Canadiens à descendre la passerelle ce jour-là, un officier de pont, le pilote Johnny Baker du 1833, et lui. Le porte-avions H.M.S. Illustrious fut mis en cale sèche. Hugh pilota des Grumman F6F Hellcat en Australie pour faire du convoyage. Pilote de guerre accompli avec (aujourd’hui, on pourrait dire « seulement ») un total de 595 heures de vol, Hugh fut pour sa famille, ses amis et son entourage, un modèle de force et de courage. Il était ouvert d’esprit. Les conversations étaient, paraît-il, très animées à la maison. Loin de glorifier la guerre, il était fort humble. Il était direct et même (je dirais aussi, pour avoir eu la chance de le côtoyer) c’était rassurant d’être auprès de lui, car il avait toujours des réponses réconfortantes à mes moindres questionnements!

Hug Pawson au décollage, full flaps, full power!

Un jour, durant un cours théorique sur le Corsair donné aux Ailes d’époque à Gatineau, quelqu’un lui avait posé la question technique : combien fallait-il de degrés de volets et de puissance pour faire décoller le Corsair du porte-avions? Sa réponse fut formidable : « Full flaps, full power! » (Volets sortis en entier, pleine puissance!) La salle de classe avait les yeux rivés sur cet homme qui nous faisait vivre son expérience sur son porte-avions en 1945 et qui, en quelque sorte, faisait déjà les choses en grand, ce qui lui allait fort bien, à cet homme courageux et fort!

Les photos publiées en primeur dans cet article, d’une remarquable qualité tant technique qu’historique, appartiennent à la collection Pawson. D’après moi, elles n’avaient jamais encore paru dans un magazine d’aviation. Tous mes remerciements à la famille Pawson. Merci aussi à Dave O’Malley et au spécialiste des Corsair Richard Allnutt. Les informations pour cet article proviennent directement du log-book de pilote de Hugh Pawson et de ses récits, et de multiples recherches sur internet et de Wikipédia.