(Deuxième partie)

D’abord, pendant la nuit du 11 au 12 novembre 1940, lors d’un raid aérien, 19 Swordfish (Espadon) décollèrent du porte-avions HMS Illustrious et détruisirent une bonne partie de la flotte italienne ancrée au port de Tarente, en Italie. Il fallait empêcher l’ennemi d’attaquer en mer Méditerranée les convois alliés en route vers l’Afrique du Nord. Cette opération fut un succès, avec le score de trois cuirassés, trois croiseurs et un destroyer coulés ou endommagés, contre la perte de seulement deux appareils.

Ensuite, et surtout, eut lieu la célèbre attaque contre l’énorme et redoutable cuirassé allemand Bismarck. Churchill voulait qu’il soit coulé à tout prix pour éviter les éventuels ravages qu’il pourrait faire contre les convois alliés en provenance de l’Amérique. Le 26 mai 1941, partis au crépuscule depuis l’H.M.S. Victorious et l’Ark Royal, des Swordfish munis de torpilles passèrent à l’attaque. La torpille lancée à 21 h 5 par le Swordfish L9726, piloté par Jock Moffat, toucha au but en plein dans la poupe du cuirassé, ce qui rendit son gouvernail inopérable et mena à sa destruction le lendemain par la Royal Navy. Jock Moffat, âgé de 21 ans à l’époque, raconte que ce soir-là la météo était très mauvaise, avec de la pluie, un plafond bas et de forts vents. Il volait au ras des flots. Avec son équipage formé de son observateur, le lieutenant Miller, et de son mitrailleur, Albert Hayman, il s’approcha de la cible sous le meilleur angle possible. Il vola à travers un rideau de balles, d’obus et de balles traçantes, et ne pouvait même pas voir les autres Swordfish! L’avion rebondissait littéralement sur les vagues et, pour citer son pilote, « notre tactique avait marché. Et ce qu’il y avait de bien avec le Swordfish, c’est que les balles ne faisaient que passer à travers la toile! C’était David contre Goliath! ».

Finalement, en février 1942, le Swordfish participa à la bataille appelée le « Channel Dash », qui consistait à attaquer les trois gros croiseurs allemands Scharnhorst, Gneisenau et Prinz Eugen qui forçaient le passage du Pas-de-Calais en plein jour dans le but de rejoindre la Norvège. Mais aucun de ces Swordfish n’aura survécu à cette attaque suicidaire.

Les trois Swordfish rescapés au Canada

Une centaine de Fairey Swordfish Mark II furent livrés au Canada pendant la Seconde Guerre mondiale et furent adaptés à notre climat avec un cockpit fermé (Mark IV). Ils servirent en Nouvelle-Écosse pour la patrouille anti-sous-marine opérant depuis la base de Dartmouth, ainsi que d’avions d’entraînement à l’École de tir de l’aéronavale de Yarmouth afin de former des télégraphistes/artilleurs. Lorsque le centre d’entraînement cessa ses opérations en 1945, plus de 700 artilleurs y avaient obtenu leur diplôme. Et comme il était peu rentable de rapatrier les appareils en Grande-Bretagne, ils furent cédés à la toute nouvelle Marine royale canadienne (MRC) naissante. Ils furent assignés à l’escadron 745 Telegraphist Air Gunner School (TAGS) de 1943 à 1944 et servirent dans la MRC jusqu’à ce que cette dernière reçoive plus tard des chasseurs bombardiers Fairey Firefly. De cette centaine d’avions, il en existe aujourd’hui trois, rescapés et localisés à Ottawa (ON), Shearwater (NE) et Gatineau (QC).

Le Swordfish NS122 du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada. Photo Pierre Lapprand

À Ottawa, l’exemplaire faisant partie de la collection du Musée de l’aviation et de l’espace du Canada porte le numéro de série militaire fictif NS122. Il fut acheté à Ernie Simmons le 22 mars 1965 par le Musée canadien de la Guerre et restauré par la compagnie Fairey Aviation of Canada Limited et la Marine royale du Canada à Eastern Passage, en Nouvelle-Écosse. Il est aux couleurs de l’un des Swordfish ayant volé au Canada pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Le Swordfish HS469 du Musée de l’aviation de Shearwater est en état de vol, comme le démontre le bac recueillant toujours des gouttes d’huile. Photo Pierre Lapprand

Au Musée de l’aviation de Shearwater se trouve un autre magnifique Fairey Swordfish, immatriculé HS469, qui fut utilisé dès juillet 1943 à l’École de tir de l’aéronavale de Yarmouth dans le cadre du Plan d’entraînement aérien du Commonwealth britannique. Réformé du service en 1946, HS469 fut envoyé en Ontario pour y être démoli. Mais retrouvé et acquis à la vente aux enchères de Tillsonburg (ON), un groupe de passionnés d’aviation aéronavale le remirent en état de vol. Après 13 ans de restauration, HS469 reprit les airs en avril 1994 à la Base des Forces canadiennes de Shearwater. Finalement, il fut donné au Musée de l’aviation de Shearwater.

Le Swordfish HS554 des Ailes d’époque du Canada. Photo Pierre Lapprand

À Gatineau, le Fairey Swordfish immatriculé HS554 est l’un des cinq exemplaires au monde encore en état de vol, bien qu’il reste toutefois un problème à régler au niveau de son moteur. Il est peint à ses couleurs d’origine d’après-guerre, lorsqu’il servait pour la Marine royale canadienne. Pendant la guerre, il était dans l’escadron 745 de l’ARC à l’École de tir de Yarmouth, en Nouvelle-Écosse. Acheté à la vente aux enchères de Tillsonburg par Bob Spence, en 1970, sa restauration comme un Mark II fut achevée en 1992. Acquis par les Ailes d’époque du Canada en 2006, il est dédié au commandant Terry Goddard, récipiendaire de la Distinguished Service Cross (DSC) et décoré des Forces canadiennes (CD). Terry Goddard est un aviateur natif de Toronto ayant accompli une longue carrière à la Fleet Air Arm de la Royal Navy pendant la Deuxième Guerre mondiale, puis comme officier dans la Marine royale du Canada après la guerre. Étant à bord de l’un des Swordfish de l’escadron 818 partis de l’Ark Royal, il a participé en 1941 à l’attaque du Bismarck et est l’un des rares témoins oculaires de la Royal Navy encore en vie, ayant vécu ce drame en haute mer.

Au Musée de l’aviation et de l’espace du Canada, le 11 juin 2011, le commandant Terry Goddard recevait un tableau illustrant les Swordfish partant à l’attaque du Bismarck, un moment fort suivi d’une belle ovation de la part du public. Photo Pierre Lapprand

En conclusion, on pourrait dire que l’histoire de ces avions ayant franchi les barrières du temps est unique en son genre. Chapeau aux personnes dédiées à restaurer de tels warbirds! Et merci à Ernie Simmons pour avoir eu l’idée de les garder si longtemps dans sa ferme et ainsi de les avoir « indirectement » sauvés d’une destruction certaine. Mais pour le citer alors qu’il parlait sans doute des vols qu’il a subis, « C’est probablement la pire des injustices et offenses que de voir la propriété d’un homme présumément mort se faire dépouiller de ses biens par de viles personnes ».

Remerciements : Spitfire Emporium, Musée de l’aviation et de l’espace d’Ottawa, Shearwater Aviation Museum, les Ailes d’époque du Canada et Wikipédia.